Un mot sur les semi-conducteurs

2 mai 2023

Par Laurent Carbonneau & Abu Kamat

Pendant la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement américain a lancé un projet secret visant à créer la prochaine génération d'avions de combat. L'équipe du constructeur Lockheed chargée de concevoir l'avion s'est retrouvée sous le curieux nom de "Skunk Works", devenu depuis un terme d'art pour désigner les équipes de recherche travaillant sur des projets bizarres.

En tant qu'équipe de recherche qui adore travailler sur des projets bizarres, nous utiliserons cet espace pour explorer les questions relatives à l'économie de l'innovation, à l'intersection de la technologie et de la politique publique au Canada. La mouffette est un animal digne d'intérêt, mais nous avons décidé d'honorer une icône tout à fait canadienne : l'orignal.

En cette nouvelle ère de la politique industrielle, tout le monde s'accorde à dire que l'innovation est une chose merveilleuse. Et ce consensus n'est pas nouveau. Depuis des décennies, les gouvernements fédéral et provinciaux affirment solennellement, à chaque occasion, leur engagement à mettre enfin le Canada sur la voie d'une économie de l'innovation de premier plan.

Et pourtant, nous en sommes là : au cours des deux dernières années, la recherche et le développement dans le secteur privé au Canada ont reculé par rapport à ceux de l'Italie et de la Pologne. L'indicateur n'est pas parfait, mais il est inquiétant.

D'une certaine manière, on ne peut pas reprocher au gouvernement de manquer d'efforts. Le gouvernement ne se blâme certainement pas lui-même. Après avoir présenté l'avant-dernier budget de l'ère Mulroney en 1992, le ministre des finances Don Mazankowski s'est levé pour rappeler aux Canadiens que "malgré un régime fiscal très généreux, les entreprises canadiennes n'ont pas investi dans la R&D dans la même mesure que nos principaux partenaires commerciaux".

Quelques années plus tard, le ministre des finances Paul Martin se levait pour proclamer que "après des années de rhétorique et de promesses, le gouvernement fédéral mettra en place une véritable stratégie pour la R&D, avec de vraies priorités, une vraie direction et un vrai examen des résultats".

L'année dernière, la vice-première ministre Chrystia Freeland a annoncé que son gouvernement avait "un plan pour s'attaquer au talon d'Achille de l'économie canadienne : la productivité et l'innovation", notant que "nous sommes à la traîne en matière de productivité économique" et déclarant qu'"il est temps pour le Canada de s'y attaquer".

Il est merveilleux d'entendre des engagements aussi forts en faveur de l'innovation et de la croissance. Mais nous les avons déjà entendus - nous les entendons depuis des décennies ! Depuis 2015, le Conseil des innovateurs canadiens plaide pour que les innovateurs canadiens soient au cœur de nos efforts visant à rendre le Canada plus productif et à s'assurer que nous demeurons un pays riche capable d'investir dans un État social généreux et compatissant.

Nous espérons que vous vous joindrez à nous pour explorer ce que le Canada peut faire pour devenir un pays d'innovateurs de premier ordre.

Le grand mouvement de relocalisation de la fabrication des semi-conducteurs aux États-Unis par le biais du _CHIPSand Science Act_ de l'année dernière a donné au Canada l'occasion de s'impliquer plus sérieusement dans la chaîne de valeur mondiale des semi-conducteurs.

C'est une opportunité à saisir. Les semi-conducteurs sont présents dans tout, et l'essor des appareils connectés, des capteurs et de la technologie de l'IA ne fera que renforcer leur importance. La chaîne de valeur des semi-conducteurs est mondiale, profondément interconnectée et vulnérable aux perturbations brutales, comme nous l'avons vu lorsque les constructeurs automobiles ont dû licencier des employés lors de la grave pénurie de puces de 2021. Beaucoup de choses ont été présentées comme "le nouveau pétrole", mais les semi-conducteurs sont peut-être les mieux placés : ils sont à la base de la quasi-totalité des technologies modernes et constituent un véritable atout géostratégique, que l'on ne trouve que dans quelques endroits grâce au processus incroyablement spécialisé de conception, de fabrication et d'assemblage.

Le gouvernement fédéral a manifesté un certain intérêt dans cette direction, en annonçant récemment un financement pour les semi-conducteurs. Comme toujours, le Canada est confronté à un choix quant à la manière de structurer intelligemment l'aide publique et la stratégie industrielle. Dans ce billet, nous examinerons brièvement comment deux pays européens se sont positionnés dans cette industrie mondiale critique.

Le PDG d'Intel, le vénérable géant américain des semi-conducteurs, a déclaré il y a quelques années que l'Europe possédait "deux joyaux" dans l'espace mondial des semi-conducteurs : le fabricant d'équipements de lithographie de pointe ASML et l'institut de recherche imec (Interuniversity Microelectronics Centre).

Toutes deux sont nées dans les années 1980 : ASML, basée aux Pays-Bas, est issue du géant néerlandais de l'électronique Philips, et imec a été créée par le gouvernement régional flamand en Belgique pour renforcer l'industrie électronique de la région.

Toutes deux ont bénéficié du soutien de l'État au fil des ans. L'Imec a été créé explicitement en tant que projet de développement économique à long terme par un gouvernement régional, et ASML a reçu des subventions considérables du gouvernement néerlandais tout au long de son existence. Les deux entreprises ont également collaboré au fil des ans, ASML fournissant des équipements de recherche à l'Imec et l'institut prenant en charge des contrats de recherche pour l'entreprise.

Toutes deux jouent un rôle important au niveau mondial. L'Imec est l'une des principales institutions de recherche sur les semi-conducteurs au monde et c'est essentiellement grâce à elle que la Belgique s'est hissée parmi les cinq premiers pays en matière de recherche sur les semi-conducteurs. L'Imec réalise un chiffre d'affaires de l'ordre de 750 millions d'euros et emploie plus de 5 000 chercheurs. Au regard de la politique d'innovation canadienne, c'est une réussite éclatante.

L'histoire d'ASML est très différente. Il s'agit d'une entreprise de 270 milliards de dollars (USD), qui réalise un chiffre d'affaires annuel de plus de 22 milliards de dollars et qui emploie environ 40 000 personnes. Le _quoi_ de cette histoire de réussite commerciale n'est cependant pas la partie la plus intéressante ici - c'est vraiment le _comment_. ASML est le seul fabricant mondial d'équipements de lithographie dans l'ultraviolet extrême (EUV) utilisés pour fabriquer les semi-conducteurs les plus avancés au monde. Les Pays-Bas ont identifié et exploité une technologie prometteuse à un stade précoce de son cycle de vie et ont noué des liens étroits avec des fabricants de puces américains et taïwanais. Le statut des Pays-Bas en tant que partenaire international de confiance des États-Unis a permis au gouvernement américain de ne pas percevoir ce goulot d'étranglement offshore critique comme une menace.

Alors que la Chine tente de combler son retard technologique en matière de fabrication de semi-conducteurs sur place, elle doit le faire sans bénéficier de la technologie d'ASML, depuis que le gouvernement néerlandais a annoncé l'imposition de contrôles à l'exportation. Les fabricants de pointe dépendent entièrement de la technologie de cette société néerlandaise, ce qui confère au pays un poids stratégique important et génère d'importantes retombées économiques. Le gouvernement néerlandais l'a reconnu et a créé PhotonDelta, une agence chargée d'exploiter son expertise en matière de semi-conducteurs et de développer un écosystème photonique afin d'occuper une niche de marché, comme l'a fait ASML.

Alors que le Canada cherche à se faire une place dans la chaîne de valeur mondiale des semi-conducteurs qui se relocalise en Amérique du Nord, plusieurs choix s'offrent à lui. La Belgique a emprunté la voie canadienne traditionnelle du financement de la recherche fondamentale et a créé un leader technologique et de la recherche qui tire des revenus respectables des partenariats de recherche et emploie des milliers de personnes. Les Pays-Bas, quant à eux, ont exploité un créneau critique du marché et se sont retrouvés avec un véritable monopole sur un intrant d'importance critique dans une industrie d'importance critique - une position qui a créé à la fois une richesse durable et un poids stratégique réel pour un petit pays.

L'Europe possède deux joyaux - et il convient de réfléchir à celui des deux que nous voudrions construire ici, si nous avions le choix.

Mooseworks est la série sur les politiques d'innovation du Conseil canadien des innovateurs. Pour recevoir des articles comme celui-ci dans votre boîte de réception deux fois par mois, inscrivez-vous à la lettre d'information du CCI ici.

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