La désignation par Ottawa de la sécurité nationale pour les investissements étrangers et les technologies stratégiques est un grand pas dans la bonne direction
13 avril 2021
Par Benjamin Bergen Directeur exécutif du Conseil des innovateurs canadiens
Dans la cacophonie des titres du mois de mars - vaccins, budgets provinciaux et gros bateau bloquant le canal de Suez -, un changement radical dans l'état d'esprit de la politique économique du Canada n'a pas suscité beaucoup d'intérêt de la part des médias.
Le 24 mars, dans une déclaration sans prétention intitulée "Le ministre Champagne met en lumière les lignes directrices actualisées sur l'examen des investissements étrangers sous l'angle de la sécurité nationale", le gouvernement fédéral a officiellement déclaré que l'intelligence artificielle, la science quantique, la technologie spatiale, le stockage de l'énergie et la technologie médicale, entre autres, seront considérés comme des facteurs potentiels de sécurité nationale lors de l'examen des prises de contrôle par des sociétés étrangères.
La ministre Champagne a également donné un nouveau mandat pour développer une approche coordonnée de la sauvegarde de l'écosystème de la recherche au Canada.
L'annonce relative à la sécurité nationale était liée à un rapport de la commission de l'industrie de la Chambre des communes, qui recommandait un ensemble plus large de réformes de la loi sur l'investissement au Canada. L'une des principales idées qui sous-tendent les recommandations de la commission est qu'Ottawa devrait accorder une plus grande attention au rôle des actifs incorporels - données et propriété intellectuelle - lorsqu'il s'agit d'évaluer l'avantage net des rachats d'entreprises canadiennes par des sociétés étrangères.
Les recommandations de la commission constituent une feuille de route pour un changement majeur de l'attitude d'Ottawa à l'égard des prises de contrôle étrangères, qui mettrait sur le même plan les entreprises canadiennes riches en propriété intellectuelle et en données, afin qu'elles puissent faire l'objet d'un examen minutieux, de la même manière que nos régulateurs étudient les transactions dans l'économie traditionnelle des biens physiques et de l'infrastructure.
Et nous savons que le ministre Champagne est déjà convaincu, car ses nouvelles lignes directrices stipulent désormais que les données personnelles sensibles peuvent également constituer une considération de sécurité nationale dans l'étude des acquisitions étrangères, ce qui est tout à fait approprié dans un monde où les services numériques créent des quantités abondantes de données de santé, de données de géolocalisation et d'autres informations profondément personnelles.
Au Conseil des innovateurs canadiens, nous avons passé des années à parler de l'importance des actifs incorporels comme élément central des stratégies de développement économique du Canada, parce qu'ils sont les moteurs de la création de richesses au 21e siècle. Contrairement aux rachats d'infrastructures physiques, la propriété intellectuelle et les données traversent les frontières d'un simple trait de plume ou d'un clic de souris. C'est pourquoi, dans notre présentation au Comité de l'industrie au printemps dernier, nous avons demandé au gouvernement d'élaborer un nouveau cadre pour le test de l'"avantage net" qui tienne compte du transfert d'actifs incorporels susceptibles d'avoir une importance économique ou sécuritaire pour le Canada.
Les actifs immatériels sont au cœur de l'économie du 21e siècle et les décideurs politiques du monde entier - au Royaume-Uni, en France, aux États-Unis et en Allemagne - actualisent leurs politiques en matière d'investissement direct étranger afin de refléter une économie où les actifs les plus précieux ne sont plus enracinés dans le monde physique. Ces annonces montrent que le ministre Champagne s'efforce d'aligner les politiques économiques du gouvernement sur celles de nos pairs.
L'écosystème technologique canadien est en pleine croissance et l'on a assisté à une augmentation de la création d'entreprises et des investissements étrangers au cours de la dernière décennie. Le Canada est aujourd'hui un écosystème vivant et dynamique où les entreprises et les partenariats sont lancés autour d'un café, où les entreprises étrangères installent des succursales pour puiser dans notre vivier de talents, et où les technologies stratégiques sont développées dans nos universités et nos établissements d'enseignement post-secondaire. Cela signifie également qu'il y a une augmentation des ventes d'entreprises, des fusions et acquisitions et des transferts de propriété intellectuelle et de données précieuses hors du Canada.
Dans son rapport, la commission de l'industrie écrit : "Il y a tout lieu de se demander si le processus d'examen de l'avantage net continue de servir les intérêts économiques des Canadiens", ajoutant que "le rôle croissant que jouent les actifs incorporels dans l'économie canadienne est précisément le type de changement économique structurel ... (qui) justifierait une réforme de l'ACI".
Si le gouvernement fédéral avait adopté cette approche plus tôt, la vente de la société montréalaise Element AI, il y a quelques mois, aurait peut-être déclenché un examen au titre de la LIC. Pendant des années, Element a bénéficié de financements publics et s'est enorgueillie d'être un lieu où des chercheurs titulaires d'un doctorat travaillaient à la commercialisation de l'intelligence artificielle.
L'économie canadienne a-t-elle tiré un avantage net de l'acquisition de cette recherche par la société ServiceNow, basée à San Francisco, ainsi que des données utilisées pour développer les algorithmes d'Element AI ? Nous n'en savons rien, car en décembre dernier, l'IA n'était pas considérée comme une technologie d'importance stratégique nationale pour le Canada, et le prix d'acquisition n'atteignait pas le seuil nécessaire pour déclencher un examen par l'ICA.
L'examen des acquisitions qui menacent d'étouffer des entreprises canadiennes prometteuses dotées d'actifs innovants et stratégiquement importants est un élément important de la stratégie d'innovation du Canada. Elle doit être associée à des stratégies qui soutiennent nos entreprises technologiques qui ont fait leurs preuves sur le marché et qui s'étendent, en tant que champions stratégiquement importants dans l'économie du 21e siècle, afin qu'elles puissent rester indépendantes et devenir les piliers de notre future économie.
En la personne du ministre Champagne, les entrepreneurs technologiques canadiens voient un leader qui comprend la valeur nationale des technologies stratégiques et des actifs incorporels. Nous sommes heureux qu'il ait entendu nos appels à réformer le cadre gouvernemental d'étude des acquisitions étrangères, car cela rendra l'écosystème canadien de l'innovation plus fort et mieux positionné pour construire l'économie nationale dont nous aurons besoin de l'autre côté de la pandémie de COVID-19.
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