Comment la Suisse reste au sommet de l'innovation mondiale
28 novembre 2023
Par Laurent Carbonneau
À première vue, le Canada et la Suisse ont beaucoup en commun. Nous sommes tous deux des fédérations multilingues avec de belles montagnes, des lacs profonds et des plats de fromage et de pommes de terre à couper le souffle.
Mais l'un d'entre nous - et, juste un indice, ce n'est pas le Canada - a réussi à régner sans partage à la première place de l'indice mondial de l'innovation de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle pendant 13 années consécutives, devançant la Suède et les États-Unis dans le classement de cette année. (Le Canada, pour ce qu'il vaut, s'est classé15e).
Les observateurs occasionnels qui se penchent sur les similitudes peuvent se demander ce qui fait de la Suisse une telle puissance alors que le Canada est si loin du podium. Comme le Canada, la Suisse est un petit pays dont les réserves de capital-risque et de capital humain sont limitées, dont les dépenses publiques de R&D sont restreintes, dont les prix sont élevés et dont la concurrence intérieure est limitée. Alors, comment la Suisse a-t-elle réussi à rester au sommet aussi longtemps ? Examinons quelques différences clés dans les performances des deux économies en matière d'innovation.
En 2022, le Canada a consacré 1,55 % de son PIB à la R&D dans son ensemble. Le même chiffre pour la Suisse en 2021 était de 3,36 %. En zoomant davantage, on constate que les Suisses ont consacré plus de 2 % de leur PIB à la recherche financée par les entreprises (DIRDE), tandis que les entreprises canadiennes ont dépensé l'équivalent de 0,86 %. Je suis loin d'être le premier à souligner la faiblesse inquiétante des DIRDE canadiennes.
Quels sont donc les moteurs de l'investissement en R&D ? Je vais prendre quelques instants pour évoquer deux concepts qui permettent d'expliquer les grandes différences entre les résultats du Canada et de la Suisse en matière d'innovation.
Le premier est la complexité économique. Celle-ci est exprimée par l'indicateur de complexité économique (ICE), qui est essentiellement un ensemble de statistiques comprimées permettant de saisir la quantité et la complexité des produits qu'un pays exporte. Il s'agit d'une analyse empirique basée sur des données commerciales concrètes qui ne se limite pas aux capacités industrielles d'un pays en termes de stock de capital, mais qui indique dans quelle mesure le pays réussit à vendre ses produits à l'échelle mondiale. D'autres travaux empiriques suggèrent qu'il s'agit de la mesure qui présente la corrélation la plus étroite avec la croissance future des revenus.
Vous ne serez probablement pas surpris d'apprendre que la Suisse s'est toujours classée très haut, à la2e ou3e place, depuis 2000. Le Canada s'est classé 41e en 2021, alors qu'il était22e en 2000. En l'espace d'une génération, notre économie est devenue environ deux fois moins complexe qu'elle ne l'était auparavant.
La complexité étant une mesure des capacités et des résultats, elle présente certaines caractéristiques d'autorenforcement. À l'exception de l'ascension spectaculaire de la Corée du Sud, qui est passée du20e au3e rang, les 10 économies les plus complexes sont restées remarquablement stables depuis 2000. Le réinvestissement constant des entreprises leaders dans le perfectionnement des processus et le développement de nouveaux produits alimente et maintient la complexité, et permet aux pays de se lancer plus facilement dans des capacités "adjacentes" et d'être compétitifs dans ce domaine. En perdant des capacités, il est plus difficile de regagner du terrain.
Cela nous amène à l'autre concept que je souhaite exposer, à savoir le "risque Nokia". Il s'agit d'un concept très utile, formulé par Herman Schwartz, qui prend au sérieux les conclusions fondamentales de la perturbation et de la domination induites par l'innovation : lorsque les entreprises deviennent des leaders mondiaux dans un créneau ou un secteur donné, le risque qu'elles soient elles-mêmes perturbées par de nouvelles technologies ou des facteurs économiques ou politiques devient un risque pour leur pays d'origine, en particulier lorsque ces pays sont de petite taille. M. Schwartz cite quelques statistiques qui peuvent aider à rendre le risque Nokia plus concret, comme la part de la R&D des entreprises réalisée par le plus gros investisseur (33 % en Suisse, 14 % au Canada) et la part réalisée par les cinq premiers (78,3 % pour la Suisse contre 52,9 % pour le Canada). L'économie de l'innovation en Suisse est très dense et dominée par des entreprises locales, compétitives au niveau mondial, qui servent d'accélérateur à un écosystème dynamique.
Si l'on se penche sur l'histoire récente des entreprises canadiennes, les chocs à peu près simultanés subis par Blackberry après l'introduction de l'iPhone en 2007 et la disparition de Nortel en 2009 illustrent le risque Nokia en action. En ce qui concerne l'ICE, le Canada est passé de la30e place en 2006 à la 42e en 2011, et n'a jamais réussi à se hisser parmi les 30 premiers depuis. De même, la part de la R&D des entreprises dans le PIB a commencé à baisser, passant de 1,1 % en 2006 à 0,95 % en 2011, pour ne dépasser 1 % qu'une seule fois depuis lors (en 2020).
Quelle est donc la grande chose que les Suisses font bien ? La seule grande chose que le Canada a du mal à faire : transformer des entreprises innovantes à grande échelle en sociétés compétitives au niveau mondial, riches en propriété intellectuelle et capables de tirer parti de leur succès pour atténuer les risques. Mais les bouleversements se produisent et nous devons réfléchir à la manière dont nous pouvons en bénéficier.
Vous pouvez lire plus d'informations sur moi ici sur la façon dont l'IA est une opportunité pour le Canada de construire une nouvelle génération de titans.
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