Investissement direct étranger : Les trois pièges mortels de l'IDE en matière d'innovation

5 juin 2023

Par Abu Kamat

Pendant de nombreuses décennies, les hommes politiques canadiens ont considéré les investissements directs étrangers (IDE) comme un avantage inaltérable pour l'économie. Ils ont subventionné les multinationales étrangères et se sont efforcés d'inciter ces entreprises à s'installer au Canada.

Les IDE peuvent être un important catalyseur de croissance pour les économies traditionnelles basées sur la production et pour les pays en développement qui ont besoin de construire leur base industrielle. Mais dans une économie où la plus grande valeur réside dans les actifs immatériels, nous devons examiner de près tous ses effets. Les IDE dans la technologie sont extractifs et les technologies, les connaissances et les données, le personnel de direction, l'assiette fiscale et les effets de richesse sortent des pays qui reçoivent des investissements étrangers, entravant ainsi l'innovation dans le pays d'accueil. Les décideurs politiques devraient revoir leur approche de l'investissement étranger dans l'économie de l'innovation au Canada.

Le déplacement de la valeur vers les biens immatériels - en particulier les données et la propriété intellectuelle - a été révolutionnaire et a complètement bouleversé la structure des marchés concurrentiels. Dans le passé, la richesse et le pouvoir provenaient des actifs physiques et des chaînes d'approvisionnement mondiales. Les gagnants de la nouvelle économie sont ceux qui commercialisent des actifs incorporels tels que les logiciels, les données, les services, les marques et l'expertise, et qui excluent les autres de la participation aux marchés.

Cette nouvelle réalité devrait modifier notre façon d'envisager les investissements étrangers - la dynamique de la richesse fondée sur les actifs incorporels est fondamentalement différente. Il s'agit d'un domaine de plus en plus important ; une étude a révélé que 90 % de la valeur de l'indice S&P 500 est constituée d'actifs incorporels, contre 17 % dans les années 70. Une autre étude a montré que les actifs incorporels représentent 40 % de l'ensemble des investissements aux États-Unis et dans dix économies européennes, soit une augmentation de 29 % par rapport à 1995.

Dans cette économie de la connaissance, les IDE se présentent sous plusieurs formes, chacune ayant ses propres implications en matière d'extraction. Les trois décrits ci-dessous sont les pièges les plus mortels de la nouvelle économie en matière d'innovation.

Les succursales, où une entreprise étrangère s'installe dans un autre pays en employant des talents locaux pour mener des recherches, générer des données et produire de la propriété intellectuelle, sont les plus visibles. Au cours de la dernière décennie, des géants mondiaux de la technologie comme Amazon, Microsoft et Google ont tous établi des "succursales" au Canada. Les gouvernements fédéral et provinciaux ont également mis en place des politiques visant à encourager les entreprises étrangères à s'implanter, à investir et à maintenir une présence régionale. Le Fonds stratégique d'innovation, l'un des plus grands programmes d'innovation du Canada, a distribué des sommes importantes à des entreprises telles que Mastercard, Siemens et, plus récemment, Nokia. Rien que cette année, le gouvernement fédéral a annoncé un partenariat de 470 millions de dollars avec Ericsson et un engagement de 13,5 milliards de dollars pour faire venir Volkswagen au Canada et construire des usines dans le cadre des chaînes d'approvisionnement mondiales pour les batteries de véhicules électriques. N'oublions pas non plus la stratégie d'intelligence artificielle, dotée de 125 millions de dollars, qui a attiré au Canada une cinquantaine d'entreprises étrangères, dont Meta, Google et Samsung, afin qu'elles recrutent des spécialistes de l'intelligence artificielle, dont l'offre était - et reste - très limitée, en particulier pour les entreprises locales.

Bien que de telles annonces fassent les gros titres politiques, une stratégie d'innovation basée sur l'implantation d'entreprises étrangères au Canada au nom de la création d'emplois passe à côté de l'essentiel : le Canada en est à sa deuxième décennie de chômage négatif pour les talents technologiques. Les succursales étrangères ne créent pas de nouveaux emplois, elles ne font que déplacer les talents existants et créer des pénuries de talents pour les entreprises nationales. Les actifs incorporels précieux - la valeur réelle d'une entreprise - produits par la succursale sont transférés au siège de l'entreprise étrangère, où ils sont taxés, commercialisés et vendus en tant que nouveaux produits ou services. Par essence, le flux de richesses et d'avantages provenant de ces actifs est orienté vers l'extérieur. Les gouvernements cèdent par inadvertance la ferme au profit de quelques centaines d'emplois - dont aucun n'est nouveau. Dans le cas de la stratégie d'IA parrainée par le gouvernement, les inventeurs ont déposé 232 brevets. Parmi ceux-ci, 75 % sont désormais détenus par des entités étrangères.

Une autre forme d'IDE dans l'économie immatérielle est celle des fusions et acquisitions "meurtrières" - lorsque des entreprises étrangères acquièrent des entreprises technologiques nationales susceptibles de remettre en cause leur position dominante sur le marché. Cette stratégie anticoncurrentielle étouffe la croissance des entreprises nationales prometteuses et les empêche de contribuer à la richesse nationale. D'un point de vue politique, le Canada n'a pas réussi à responsabiliser les grandes entreprises technologiques par rapport à d'autres juridictions comme l'UE, en raison des lacunes de la loi sur la concurrence qui permettent des comportements anticoncurrentiels. Le Bureau lui-même a reconnu que la législation ne lui permettait pas de prendre en compte les effets dynamiques à long terme sur l'écosystème local.

Enfin, les IDE peuvent prendre la forme de partenariats avec des universités. Ces collaborations peuvent être bénéfiques à court terme pour les étudiants et les institutions. Les meilleurs étudiants travaillent avec des entreprises internationales comme Huawei, Google et Microsoft sur des projets financés et collaboratifs afin de créer des solutions uniques. Cependant, sans une surveillance attentive, ces partenariats facilitent l'extraction d'une propriété intellectuelle et de talents précieux, allant parfois jusqu'à compromettre la sécurité nationale. Plus récemment, une étude menée par le Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale a révélé que les entreprises étrangères détiennent plus de 55 % de la propriété intellectuelle générée par les universités financées par des fonds publics, ce qui rend les entreprises technologiques canadiennes moins compétitives en les empêchant d'exercer leur activité dans l'espace de propriété intellectuelle détenu par les entreprises étrangères.

Compte tenu de la réalité d'une économie fondée sur les biens immatériels, les décideurs politiques devraient changer leur façon de penser l'impact des IDE sur l'économie et les entreprises nationales. Au lieu de se concentrer uniquement sur la création d'emplois, ils doivent adopter un point de vue plus nuancé qui tienne compte des retombées négatives, telles que les fuites de propriété intellectuelle et les implications pour les petites entreprises en expansion, avides de talents.

Les pays du monde entier ont remanié leurs politiques d'investissement étranger pour refléter cette ligne de pensée. L'Australie, par exemple, autorise l'invalidation des accords de recherche s'ils sont jugés potentiellement préjudiciables à son économie et à sa sécurité. Le Royaume-Uni a mis en place un régime de filtrage des investissements étrangers qui protège les entreprises nationales et prend en compte la sécurité, en particulier dans les secteurs technologiques stratégiques. Comprendre la relation entre les actifs incorporels, l'IDE et l'innovation est l'une des clés pour favoriser un écosystème canadien avec des champions nationaux plus florissants et plus compétitifs au niveau mondial.

Mooseworks est la série sur les politiques d'innovation du Conseil canadien des innovateurs. Pour recevoir des articles comme celui-ci dans votre boîte de réception deux fois par mois, inscrivez-vous à la lettre d'information du CCI ici.

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