Jim Balsillie, président de la CCI, s'adresse aux députés qui étudient le budget fédéral 2021
19 mai 2021
Aujourd'hui, le président de l'ICC, Jim Balsillie, a témoigné devant le Comité permanent des finances de la Chambre des communes, alors que les députés étudient le projet de loi C-30, le projet de loi d'exécution du budget de 2021. Voici la déclaration d'ouverture de M. Balsillie lors de l'audience du comité.
En outre, vous pouvez lire la réaction initiale de l'ICC au budget fédéral publiée par le directeur exécutif Benjamin Bergen dans les heures qui ont suivi le dépôt par la ministre des Finances Chrystia Freeland de son plan budgétaire 2021 au Parlement le 19 avril.
Je suis Jim Balsillie et je vous présente un exposé au nom du Conseil des innovateurs canadiens.
Pour l'étude du Comité sur le projet de loi C-30 : Loi d'exécution du budget, je ferai deux observations sur la structure de l'économie moderne en relation avec le budget, puis je conclurai par une recommandation :
1. La nature de l'économie mondiale s'est considérablement modifiée, notamment en ce qui concerne la structure des entreprises prospères
2. Si l'on ne comprend pas les cadres du marché contemporain qui guident la création de richesses aujourd'hui, les investissements que fait le Canada, y compris dans ce budget, ne produiront pas de prospérité et de sécurité pour les Canadiens,
3. Il est urgent de développer la capacité institutionnelle de notre secteur public, qui n'a que trop tardé, afin de soutenir l'élaboration de politiques adaptées aux réalités du 21e siècle.
Passage d'une économie de production matérielle à une économie de rente immatérielle
Le rythme accéléré de l'innovation et de la transformation numérique au cours des 30 dernières années a créé un nouveau type d'économie dans laquelle la base de la richesse et du pouvoir est dérivée de la propriété intellectuelle de valeur (IP) et, au cours des dix dernières années, du contrôle des données. Parallèlement, les nouvelles technologies de cette époque, centrées sur la prise de décision automatisée (IA) et l'apprentissage automatique, sont en train de remodeler notre espace social et politique. Les actifs incorporels représentent plus de 91 % de la valeur totale de 28 000 milliards de dollars de l'indice S&P500.
Cette évolution est d'une ampleur et d'une rapidité sans précédent, en particulier avec l'émergence d'entreprises à forte rentabilité en position de monopole fondée sur les droits de propriété intellectuelle et le contrôle des données. La croissance des salaires est désormais concentrée sur la petite main-d'œuvre des entreprises riches en propriété intellectuelle et en données, ce qui favorise les inégalités. Ces entreprises ont une faible propension à investir car elles ne produisent généralement pas de biens tangibles, le coût marginal de production de leurs biens intangibles étant proche de zéro. En outre, la nature du système d'imposition sur les bénéfices des actifs incorporels permet aux entreprises de déployer des stratégies efficaces de minimisation de l'impôt, ce qui entraîne une érosion de la base d'imposition du Canada.
Les pays du monde entier, à commencer par les États-Unis dans les années 1980, puis de nombreux autres, ont réorganisé et recalibré leurs stratégies de prospérité pour s'adapter au passage de l'économie traditionnelle à l'économie des actifs incorporels. L'orthodoxie politique dominante au Canada - toujours visible dans le dernier budget - consiste à s'en tenir aux stratégies de croissance traditionnelles de l'économie de production, même si une telle approche continue de se traduire par une faible productivité, des classements inférieurs dans les indices d'innovation et, plus particulièrement au cours de la dernière décennie, par le déclin de notre PIB par habitant par rapport à celui des États-Unis. Comme le montre le graphique en annexe, le déficit du Canada en matière de paiements et de recettes de propriété intellectuelle se creuse à un rythme alarmant - et ce déficit serait bien plus important si l'on incluait la valeur des flux nets de données.
Dans l'économie contemporaine, l'objectif est de générer et de contrôler les actifs de propriété intellectuelle et les stocks de données pour en tirer des avantages économiques et non économiques dans un contexte de rivalité entre les économies internationales. Les stratégies de prospérité du Canada sont non seulement inadéquates, mais souvent contre-productives :
- la création d'agences et de programmes d'investissement direct étranger qui ne disposent pas d'un cadre analytique contemporain pour les retombées (contrairement aux efforts déployés aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne, en France, dans l'UE et dans d'autres économies avancées).
- une frénésie de signature d'accords de "libre-échange" qui dure depuis 15 ans, alors que des économistes écrivaient déjà en 2003 que les traités commerciaux internationaux s'étaient orientés vers le renforcement des protections des détenteurs de droits de propriété intellectuelle plutôt que vers les réductions tarifaires traditionnelles.
- faire d'énormes investissements dans la recherche scientifique sans politiques et stratégies adéquates en matière de propriété intellectuelle.
- des mandats sous-financés et dépassés pour des régulateurs essentiels de l'économie moderne, tels que l'investissement étranger, la protection de la vie privée (gouvernance des données) et la concurrence.
Ce ne sont là que quelques exemples qui montrent que les responsables politiques du Canada utilisent des stratégies dépassées pour gouverner une économie dont la nature et la structure ont changé.
Le budget fédéral reflète une approche dépassée de l'économie contemporaine. Il ne reconnaît pas non plus les limites réelles de nos institutions. Il est irresponsable d'inclure 270 mesures dans un document de plus de 700 pages et de s'attendre à ce qu'elles soient mises en œuvre, et il est futile d'investir d'énormes fonds publics sans cadres actualisés et sans stratégies claires qui produiraient les résultats souhaités pour le Canada. Si le risque reste élevé de transformer 1 dollar d'investissement du contribuable en 10 cents, il existe également le risque de voir se poursuivre des mesures contre-productives où l'argent du contribuable génère des retours négatifs pour le Canada.
Enfin, la redistribution d'un gâteau économique fixe ou les "ancrages budgétaires prudents" que beaucoup préconisent sont insuffisants sans une stratégie visant à générer de nouvelles richesses. Le Canada a un besoin urgent de stratégies de croissance adaptées aux réalités contemporaines et de budgets qui les reflètent.
Capacité institutionnelle pour l'élaboration de politiques dans l'économie moderne
Je propose une recommandation qui peut contribuer à améliorer la planification et la mise en œuvre du budget du Canada : Reconstruire le Conseil économique du Canada afin de créer une capacité interne d'analyse de l'économie contemporaine.
La nature de l'économie mondiale actuelle exige un niveau sans précédent d'intégration horizontale, de profondeur analytique et de rapidité de réaction pour faire face au rythme accéléré de l'innovation et aux puissantes rétroactions et retombées qui émergent dans notre société en réseau.
Un Conseil économique réactivé aurait plusieurs fonctions essentielles, dont les suivantes
- Développer l'expertise nécessaire pour mesurer et gérer l'économie de l'immatériel, y compris la capacité d'élaborer des stratégies de gouvernance de la propriété intellectuelle et des données et de comprendre les cadres de marché contemporains.
- Servir de ressource centralisée pour soutenir les départements opérationnels et évaluer de manière experte les retombées des décisions politiques sur les actifs incorporels du Canada.
Un Conseil économique correctement constitué serait le fer de lance de l'indispensable renouveau intellectuel de notre communauté politique et aiderait le gouvernement à reconstruire une capacité critique qui favorise l'intérêt national, y compris la reprise économique post-Covid.
Pour conclure, je répète que l'incompréhension de nos nouvelles réalités économiques a des conséquences réelles sur notre prospérité, notre sécurité et, en fin de compte, notre souveraineté. Les hélicoptères ne fonctionnent plus comme avant, car le volume de crédit nécessaire pour produire une unité de croissance du PIB a triplé entre 2007 et 2015. Et la simple chasse aux "emplois", en partant du principe que les entreprises sont relativement homogènes, est une stratégie de nivellement par le bas qui ne fera qu'aggraver les inégalités. Le Canada a le potentiel de "mieux reconstruire", mais il faut d'abord savoir ce que nous devons construire et comment nous devons le faire.
Annexe : Le déficit de PI du Canada
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