Le mythe de la culture au Canada : le déficit d'actifs incorporels au Canada devient tangible

7 août 2024

Par Laurent Carbonneau
Directeur des politiques et de la recherche de l'ICC

Si vous passez suffisamment de temps à étudier les performances économiques du Canada, quelqu'un vous dira certainement, un peu à regret : "À un certain niveau, c'est un problème de culture".

J'ai toujours trouvé cette réponse insatisfaisante. Si la réponse à la faible croissance de la productivité au Canada et à l'écart qui se creuse avec les États-Unis à la suite de la longue gueule de bois qui a suivi la grande crise financière est en quelque sorte profondément enracinée dans l'ineffable esprit humain... alors que faisons-nous ici, au fond ?

Mais heureusement pour nous, je pense que ce cliché qui tue la réflexion est aussi fondamentalement erroné. Il s'agit d'une fine couche de mystère appliquée à des choix que nous faisons chaque jour et qui nous empêchent d'avoir une économie plus innovante, une plus grande prospérité et des services publics plus solides comme l'éducation et les soins de santé.

Le professeur Horatio Morgan, de l'université de Waterloo, a publié un nouvel article qui fait un travail important de démystification de notre économie. En examinant de près les chaînes de valeur, l'histoire et les institutions canadiennes, il affirme que ce que les Canadiens considèrent comme des distinctions culturelles avec les États-Unis sont le produit d'événements et de décisions qui se sont produits dans le monde réel plutôt que dans nos cœurs et nos esprits.

Morgan n'est pas le premier à faire cela. L'ouvrage de Daron Acemoglu et James Robinson, intitulé Why Nations Fail de Daron Acemoglu et James Robinson, est une excellente vue d'ensemble sur l'importance de l'architecture institutionnelle pour l'économie d'un pays. L'ouvrage de Robin Naylor, The History of Canadian Business, 1867-1914 , qui peut sembler aride mais qui est fascinant, plonge dans le contexte canadien (et dont je m'inspire un peu plus loin).

C'est une idée très libératrice une fois qu'on l'a assimilée. Oui, la tradition de toutes les générations mortes pèse comme un cauchemar sur l'esprit des vivants - mais ce n'est pas nécessaire !

Les dirigeants canadiens ont fait de nombreux choix importants dans les années qui ont suivi la Confédération, et nous continuons à vivre avec les conséquences de ces choix. M. Morgan en cite trois en particulier : le droit des brevets, le droit des faillites et la fixation de notre système financier sur les produits de base.

Le premier facteur : La législation canadienne sur les brevets est née de l'idée que l'économie industrielle canadienne devait essentiellement servir de terrain d'expérimentation, où la technologie américaine était déployée pour produire des biens destinés aux marchés impériaux britanniques. Les investisseurs britanniques et américains pensaient ainsi à l'époque, et les dirigeants politiques canadiens partageaient ce point de vue. Les Américains ne pouvaient déposer de demandes de brevets canadiens que par l'intermédiaire d'agents canadiens et, pour obtenir un brevet, ils devaient s'engager à s'installer au Canada. Cette exigence a finalement été supprimée.

La succursalisation de l'industrie canadienne s'en est suivie tout naturellement. En raison de ces choix précoces, les Canadiens n'ont pas investi dans la recherche industrielle et l'enseignement axé sur l'industrie, comme c'était le cas aux États-Unis. En 1908, les inventeurs canadiens ne représentaient que 16 % des titulaires de brevets. Les universités et les collèges se concentrent sur les arts libéraux et les professions traditionnelles (c'est-à-dire la médecine, la théologie et le droit) et bénéficient de généreux allégements fiscaux, ce qui n'est pas le cas des collèges techniques. Cela n'a certainement pas aidé le Canada à former des diplômés ayant l'esprit pratique et l'esprit d'entreprise.

Le deuxième facteur : Nos premières lois sur les faillites étaient également très punitives pour les entrepreneurs et les débiteurs en général. Ces lois ont été largement héritées de la Grande-Bretagne et maintenues avec enthousiasme par les élites foncières canadiennes, plus soucieuses de soutenir les dettes de leurs locataires. Les mesures punitives à l'encontre des débiteurs pouvaient aller jusqu'à l'emprisonnement, et c'est ce qui s'est produit. De 1880 à 1919, le Canada ne dispose d'aucune loi fédérale sur la faillite. Comme vous pouvez l'imaginer, cela peut compliquer le commerce interprovincial, sans parler de l'extrême coût d'un échec commercial. L'article de Morgan fait allusion à des "vagues de personnes endettées qui ont fui le Canada pour les États-Unis" en 1880.

Le troisième facteur : Le marché des capitaux du Canada était déterminé à extraire autant de ressources naturelles et de richesses agricoles que possible. En fait, toute notre économie était fortement axée sur l'agriculture et l'extraction des ressources naturelles, afin de rentabiliser les énormes investissements dans les chemins de fer lourdement financés par les créanciers britanniques et d'autres créanciers internationaux.

Les banques et les financiers canadiens n'avaient guère de raisons de s'intéresser à l'industrie manufacturière de pointe au Canada, alors que les chemins de fer et les ressources naturelles s'y trouvaient déjà.

La combinaison des structures d'incitation - dévalorisation de l'esprit d'entreprise canadien et marché des capitaux peu intéressé par l'industrie - a fait que notre pays a essentiellement raté le coche des industries de la deuxième révolution industrielle. La recherche et le développement intensifs, combinés à des investissements à forte intensité de capital dans des domaines tels que les produits chimiques, le caoutchouc et l'acier, ont défini les économies des États-Unis, de l'Allemagne et d'autres grandes puissances industrielles et ont préparé le terrain pour une grande partie de l'économie fondée sur la connaissance.

L'article de Morgan souligne également que les Américains disposaient d'institutions qui les ont poussés à s'engager dans d'importantes chaînes de valeur mondiales telles que l'automobile. Dans la mesure où les Canadiens ont participé, ils l'ont fait principalement dans des fonctions en amont comme les matières premières et l'assemblage (c'est là que le Canada devra être prudent lorsqu'il naviguera dans les tendances du21e siècle comme le "friend shoring" et le "nearshoring", car elles pourraient signifier que l'on se contente de nous coller les parties d'une industrie qui ont une faible valeur par rapport aux bonnes choses qui aboutissent aux États-Unis).

Tout cela pour dire que ce que nous pourrions considérer comme des différences culturelles peut souvent être attribué assez directement à des choix concrets faits par des personnes, médiatisés par des institutions et des marchés. Il n'est donc pas facile de modifier notre trajectoire. Mais si nous considérons que la structure de notre économie repose aujourd'hui sur des choix faits par des personnes qui sont mortes depuis longtemps, alors nous avons déjà fait le premier pas.

L'Estonie a longtemps été un minuscule avant-poste agricole des empires suédois, russe et soviétique. Quant à la Corée du Sud, elle était autrefois une colonie du Japon impérial. Ces deux pays sont parvenus à devenir des moteurs de l'innovation en dépit de conditions beaucoup plus difficiles.

Nous ne pouvons pas continuer à nous raconter le mythe de la culture - nous devons reconnaître nos défis structurels pour ce qu'ils sont, et nous mettre au travail.

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